La crise humanitaire sur la route des Canaries

L’Europe traverse la plus grande crise humanitaire migratoire de son histoire récente, et les chiffres continuent d’augmenter.

Aux îles Canaries, la situation est particulièrement critique. L’archipel connaît l’année migratoire la plus intense de son histoire. Rien que cet été, plus de 2 600 personnes ont débarqué sur les côtes à bord de barques, soit une augmentation de 19,4 % par rapport à l’année précédente. Ce fut le plus grand afflux de ces 30 dernières années sur la route atlantique.

En Espagne, un total de 9.229 personnes sont arrivées pendant l’été, selon le ministère de l’Intérieur, bien que d’autres sources avancent un chiffre supérieur à 12 000. Le nombre exact de victimes disparues en mer reste inconnu, mais une personne meurt toutes les 45 minutes, ce qui équivaut à une sur cinq parmi celles qui tentent de rejoindre l’Europe. Toutes celles qui parviennent à destination ont subi l’indicible, tandis que les pays européens continuent de se quereller sur la question du « non-partage ». Les mesures proposées restent des solutions temporaires, discriminatoires et inhumaines.

Les causes des migrations sont multiples, et les profils ne sont pas tous gérés de la même manière :

  • Les conflits armés, la corruption dans les administrations publiques, le changement climatique, entre autres, poussent les gens à quitter leur pays à la recherche d’un avenir meilleur. En Europe, bien que vivant dans des conditions précaires, leurs droits fondamentaux sont protégés.
  • La majorité des migrants viennent d’Afrique subsaharienne, mais il y a aussi des personnes originaires d’Asie.
  • La route méditerranéenne est de plus en plus surveillée en raison d’un accord entre le gouvernement espagnol (sans consulter les Chambres) et le roi du Maroc, reconnaissant le Sahara occidental comme territoire marocain en échange d’une répression migratoire inhumaine de la part du Maroc au niveau de la Méditerranée. Face à cela, les réseaux de trafic humain privilégient désormais la route des Canaries, plus dangereuse mais moins contrôlée.
  • Les migrants voyagent au cœur de l’océan entassés à plus d’une centaine dans des embarcations conçues pour la pêche côtière. Les moteurs, souvent inadaptés, tombent en panne, laissant les embarcations dériver au gré des courants. Les naufrages sont fréquents, et beaucoup disparaissent en mer. Les conditions de voyage sont épouvantables : malnutrition, hypothermie, épuisement… Ceux qui arrivent souffrent souvent de graves séquelles physiques et psychologiques, voire de la mort.
  • Chaque année, le nombre d’arrivées augmente. Le pic enregistré entre 2006 et 2007 a été largement dépassé. En 2023, 40.000 personnes sont arrivées en Espagne, représentant 70 % des migrations vers l’Espagne.
  • Le problème est encore plus aigu pour les mineurs. Plus de 5.500 enfants non accompagnés sont pris en charge dans les centres d’accueil. Le système éducatif des Canaries est débordé : ces enfants ne parlent pas espagnol, beaucoup parlent français, mais nombreux sont ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Ils souhaitent apprendre l’espagnol pour pouvoir travailler, rembourser les dettes de leur voyage et aider leur famille.
  • Les Canaries ou l’Espagne ne sont généralement pas leur destination finale ; ils espèrent atteindre l’Europe du Nord. L’Union européenne fournit des fonds pour empêcher leur départ des îles du sud, comme Lesbos, Lampedusa ou les Canaries, et les retenir dans ces zones.
  • Beaucoup sont rapatriés ou répartis dans des centres d’accueil en Espagne et ailleurs en Europe.

Le Pacte européen sur la migration et l’asile, adopté le 10 avril 2024 par le Parlement européen, vise à gérer les flux migratoires de manière plus efficace et à réorganiser un système dysfonctionnel. Mais derrière sa façade de contrôle et d’ordre, il cache une réalité déshumanisante qui porte atteinte à la dignité et aux droits fondamentaux des migrants et des réfugiés :

  • Il privilégie l’externalisation des frontières,
  • renforce la présence policière et criminalise la migration irrégulière,
  • utilise des termes déshumanisants, alimentant un climat de xénophobie, d’hostilité  et de discrimination dans la population européenne et alimente la discrimination et le racisme
  • il ne s’attaque pas aux causes profondes des migrations : pauvreté, guerres, violence, crise climatique, la perte de moyens de subsistance ou la persécution… Il ignore la détresse et la désespération des migrants et les causes qui les obligent à fuir.

Mame, une jeune femme venue du Sénégal en 2013, confie :
« Mon cœur saigne chaque fois qu’un Sénégalais meurt en mer ou en traversant tant de frontières pour arriver en Europe. Cela arrive parce qu’on ne les laisse pas entrer. Mais si un Européen veut aller au Sénégal, il peut le faire sans obstacle, et nous l’accueillons de tout cœur. Est-ce juste, normal ? Les multinationales étrangères nous volent nos ressources alimentaires. Elles veulent les richesses du Sénégal, mais pas ses habitants. Si nous n’avons ni poissons ni terres, comment nourrir nos familles ? » Malgré tout, venir en Espagne a été un choix positif pour elle. Elle étudie et travaille, et espère bientôt aider sa famille avant de retourner dans son pays.

Il faut des mesures centrées sur les personnes, et non sur ce qu’elles peuvent apporter. Les migrants veulent travailler, mais ils ont besoin et nous avons besoin de bien plus que d’un emploi. Cela ne peut se résoudre par une migration circulaire : dans quelles conditions peuvent-ils rentrer chez eux ? Comment vont-ils travailler ? ACCUEILLIR dignement, PROTÉGER les victimes, PROMOUVOIR les individus et INTÉGRER la richesse des différentes cultures sont les seules façons de respecter leur dignité humaine.

Les religieux, ONGs et acteurs présents au sud de l’Europe et au nord de l’Afrique se réunissent tous les deux ans à Málaga lors du Forum « Frontière Sud » pour partager leurs expériences et apporter un éclairage sur cette réalité dramatique.

La congrégation de l’Assomption s’engage face à cette réalité et tente d’y répondre avec les moyens dont elle dispose. Lors de son dernier Chapitre général, elle a accepté la proposition de la province espagnole et prévoit de fonder une communauté internationale aux Canaries pour répondre à cette situation.

Hna. Magdalena Morales

Responsable JPICS-RA España

(Original en español)

Sources :

Delegación Diocesana de Migraciones/Málaga/ Círculo del Silencio Septiembre 2024.

Migrantes con derechos | Cáritas

https://www.defensordelpueblo.es/wp-content/uploads/2021/03/INFORME_Canarias.pdf
https://www.diocesisdecanarias.es/cmsAdmin/uploads/wysiwyg/files/Propuesta%20conjunta%20V%20definitiva%20(1).pdf
https://www.realinstitutoelcano.org/analisis/el-nuevo-pacto-europeo-de-migracion-y-asilo-la-posicion-espanola

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