La dérangeante voix prophétique du Cardinal Archevêque de Kinshasa Fridolin Ambongo

Tout – ou presque tout – est résumé dans la lettre du Procureur général près la Cour de Cassation du samedi 27 avril 204, demandant à Monsieur le Procureur Général près la Cour d’appel de Matete d’ouvrir une information judiciaire à charge de Monseigneur Fridolin Ambongo, Archevêque Catholique Métropolitain de l’Archidiocèse de Kinshasa. Et cependant, tout reste à comprendre. À l’encontre du Cardinal de Kinshasa, l’institution judiciaire souligne « Une constance de propos séditieux tenus lors de points de presse, interviews et sermons, de nature à décourager les militaires des forces armées de la République qui combattent au front, mais aussi incitatifs à la maltraitance par les rebelles et autres envahisseurs des populations locales … »

Sauf que, de l’avis de plusieurs analystes, cette lettre participe, avant tout, à une campagne de diabolisation qui, touchant aux symboles et aux références morales au sein de la nation congolaise, tend à museler les voix des sans voix. Ce courrier du procureur a suscité tout autant de surprise et que d’indignation dans l’opinion congolaise et en dehors du pays, et même un certain malaise au sein même de l’Union Sacrée de la Nation regroupant les partis au pouvoir. Des artistes, des journalistes et des députés ont déjà fait la prison pour leurs dénonciations de la mauvaise gestion de la chose publique. Et maintenant un Cardinal de l’Eglise catholique doit faire face à la justice. Tous ces acteurs ont en commun de dénoncer ce qui ne va pas au pays. En effet, dans son homélie de Pâques, Mgr Fridolin avait bien posé le diagnostic qui irrite : « Nous savons très bien que notre pays est, aujourd’hui, un pays en agonie, un grand malade dans un état comateux. La justice est la première instance à bafouer les droits des simples citoyens et nous tenons ici des discours comme si nous étions forts. La réalité est que le Congo n’a pas d’armée », avait-il souligné.  

Interpellant les autorités politiques sur des comportements susceptibles de briser la cohésion nationale et de pousser certains compatriotes à rejoindre la rébellion, le Cardinal avait fait remarquer : « Nous pouvons les traiter de traitres, ils ont pris la cause de l’ennemi ; mais la question de fond, c’est ‘pourquoi ces gens ont-ils agi de cette manière-là ? C’est parce qu’au niveau d’ici, nous continuons à poser des gestes qui blessent les autres, qui fragilisent la communion nationale, qui excluent les autres ». Des messages de soutien à son Eminence Fridolin Cardinal Ambongo se sont succédé, en commençant par le clergé de Kinshasa, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), l’association des laïcs de Kinshasa, et d’autres conférences épiscopales d’Afrique ont exprimé leur proximité spirituelle au Cardinal de Kinshasa.

En effet, le Cardinal a mis le doigt à la plaie, tant il est vrai que la crise multiforme et endémique dont souffre la République démocratique du Congo implique, pour une large part et malgré la guerre d’agression rwandaise, un comportement repréhensible mais, hélas ! conforté par l’impunité au sein de différentes strates de la classe politique. On se souvient encore de son message adressé au pape François lors de sa visite à Kinshasa (du 31 janvier au 3 février 2023) : « Très Saint-Père, ce peuple qui vous accueille avec joie est un peuple qui souffre », avait-il dit, faisant ainsi grincer les dents à certains politiciens. En effet, tandis que la guerre fait des ravages indescriptibles dans la partie orientale du pays, des dossiers de détournement de fonds publics – et par dizaines voire par centaines de millions de dollars – continuent à s’accumuler à partir de Kinshasa, la Capitale, dans une forme d’inconscience révoltante et incompréhensible. Entretemps, des soldats courageux se battent à l’Est du pays, sans tous les moyens nécessaires à leur tâche.

Mieux que quiconque, la justice militaire congolaise sait – puisqu’elle l’a aussi plusieurs fois annoncé dans les médias – combien il y a des dossiers de détournement impliquant des officiers et des hauts-gradés de l’armée congolaise, et qui portent sur les fonds alloués à la solde des militaires ou à leur ration, voire sur la vente de matériels militaires aux rebelles du M-23 et leurs supplétifs, en plein régime d’exception : l’état de siège. Il est arrivé plus d’une fois que le Présidant de la République, Félix Tshisekedi, dénonce, pêle-mêle, « la magouille au sein de notre armée », « une mauvaise gestion des fonds de l’Etat », ou reconnaisse des dysfonctionnements de la justice congolaise comme il l’a fait, le 23 février 2024, au sujet de l’incarcération d’un journaliste à Kinshasa : « … notre justice me donne beaucoup de soucis. Elle est malade même dans le traitement des dossiers … », avait affirmé Félix Tshisekedi.

Par ailleurs, depuis le 06 mai 2021, voici de cela trois ans, les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sont en état de siège pour, soi disant, contrer la guerre d’agression. Mais l’histoire retiendra que la résurgence du M-23 en novembre 2021, six mois après l’instauration de ce régime d’exception, est aussi vue dans l’opinion comme un signe éloquent d’un échec. Mais ceux qui ont osé faire cette observation ont, pour la plupart, fait face à des intimidations, et même à la prison pour outrage au Chef de l’Etat. Beaucoup de congolais se demandent s’il est convenable, dans une démocratie, de subir de telles injustices de la part des dirigeants et d’applaudir. Un ancien député national, élu de la ville de Goma, a dénoncé sur les antennes d’un média a Kinshasa les tracasseries militaires de l’armée congolaise sur les populations au Nord-Kivu.

Les populations sont asphyxiées par des taxes illégales exigées par des éléments de l’armée congolaise sur de nombreuses barrières érigées sur des axes routiers, reproduisant ainsi pour leur compte et dans une indifférence coupable des autorités politiques et militaires, les mêmes actes posés par la rébellion du M-23. Pendant ce temps, les fonctionnaires publics comptent des retards, sinon des arriérés de leur modique salaire face aux politiciens qui se taillent la part du lion et s’affichent dans un luxe insolant. C’est tout cela que dénonce aussi, et de manière prophétique, le Cardinal de Kinshasa, dans ce qui a été appelé « points de presse, interviews et sermons ». Quant à savoir, cependant, à qui incombe toute cette responsabilité, il y faut un peu de courage pour le dire, car c’est à ses risques et périls qu’on le ferait. À ce sujet, l’opinion congolaise ne s’y trompe pas, le Cardinal de Kinshasa, qui n’invente ni force n’exagère aucun fait, est victime de ce courage-là. Dans son homélie de Pâques, il a dénoncé ce comportement qui désorganise l’armée congolaise alors même qu’elle fait face à une guerre d’agression opiniâtrement orchestrée de par plusieurs officines dans le monde – car c’est une guerre de business.   

Homélie du Cardenal Archevêque de Kinshasa Fridolin  Ambongo  https://youtu.be/D09T8CGRF9c?si=viEOHWu8ivJTx1uu

                                         KAMBALE KATALIKO Aristide, A.A.

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