De la multiculturalité à l’interculturalité. L’interculturalité comme piste pour aller vers le bien commun.

Nous avons récemment célébré les 30 ans de la chute du mur de Berlin, événement historique majeur marquant le début d’un autre temps. Quelques dizaines d’années après, dans nombre d’endroits au monde, des murs continuent d’être érigés, des frontières sont renforcées, la peur de l’autre, de l’étranger accentuée. Les populismes en font leur lit ; Dans ce contexte, le choix de vivre en interculturalité prend à contrepied tout mouvement de repli sur soi et appelle à vivre un autre projet qui fait de la rencontre avec l’autre, de l’hospitalité un parcours à la fois exigeant et toujours à compléter, pour un enrichissement mutuel où le bien commun se construit ensemble.


Multiculturel, international, transculturel, interculturel, … autant de mots, un vocabulaire multiple s’offre à nous lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la vie, de la rencontre entre personnes venant de cultures différentes. Un vocabulaire multiple, des significations multiples également, qui engage chaque personne de manière bien distincte. Un quartier multiculturel caractérise un espace où vivent des personnes, familles d’origine culturelle variée. Une démarche transculturelle précise le mouvement vers une culture d’accueil, sans impliquer que la culture d’accueil en fasse autant en retour. C’est l’expression d’une migration d’un pays A vers un pays B où j’aurai tout à recevoir, apprendre. D’emblée, on y perçoit une forme de déséquilibre entre ceux qui accueillent et sont à leur aise puisque chez eux, et ceux qui sont accueillis et se sentent « du dehors ». Parler d’interculturalité et vouloir la vivre va bien plus loin. Le préfixe « inter » déjà implique une réciprocité, un processus mutuel, un enrichissement source de transformation des acteurs. Le pré requis nécessaire se situe dans l’engagement de toute la personne, du groupe s’il en est, un véritable choix parce que c’est une Bonne Nouvelle pour le monde aujourd’hui. 


Ce processus toujours en cours que l’on peut aborder en distinguant trois étapes : 


Sortir de … notre ethnocentrisme naturel ! Dans un premier temps de notre vie, nous intégrons notre milieu, son mode de vie comme l’unique qui nous sert alors de référence. Ce sont autant de valeurs, habitudes, langues, coutumes qui ont leur propre système de fonctionnement et font un ensemble cohérent dans lequel nous évoluons naturellement, sans plus s’interroger. Le contact avec une autre culture vient bouleverser cela, détrôner nos certitudes, valeurs et repères et nous déstabiliser. Quitter notre terre géographique nous fait quitter aussi notre terre intérieure lorsque se produit la rencontre, et dans un premier temps le choc que peut représenter le contact un peu prolongé avec une autre culture. Etrangement, c’est bien alors un « détour » via sa propre identité culturelle qui est convoqué. « Le dialogue avec l’autre est en même temps un dialogue avec soi » (Paul Tillich), parce qu’il suppose de se disposer à changer de regard sur le monde est déjà un premier pas, et pour cela connaître celui d’où nous venons. 


Une deuxième étape vers la vie en interculturalité nous fait passer par …. Un processus de conversion, un réel travail, une démarche consciente et délibérée. C’est un chemin lent et long, douloureux à l’occasion. Ainsi parle-t-on de choc culturel, ce phénomène décrit un regard critique sur sa propre culture, un temps de déstabilisation, une prise de risque pour accueillir la nouveauté ; notre vulnérabilité est mise au jour travailler à revoir nos préjugés, clichés, Croire que chaque personne, chaque culture a quelque chose à donner et à recevoir ; c’est au quotidien que cela se vérifie et se vit dans la propre chair des personnes. Passer de valeurs, de mondes qui s’opposent à des valeurs, des mondes qui dialoguent.

Entrer dans … un regard ethno relativiste qui pour autant n’insinue pas une espèce d’indifférence et de nivellement par le bas mais invite à une reconnaissance mutuelle, un enrichissement de chaque personne. Il signifie une adaptation à un contexte distinct, une intégration dans son être qui fait que l’on est capable de se mouvoir en s’adaptant selon les contextes. C’est aussi accueillir notre identité en mouvement. Entrer dans un « nous » ; accueillir l’autre en soit, vivre une hospitalité intérieure par un accueil radical de la différence. 


Ces étapes peuvent conduire à vivre en interculturalité si d’une manière ou d’une autre, elles sont vécues d’une façon réciproque, même si les points de départ diffèrent. Ceux qui accueillent ont à le vivre de manière radicale, en croyant et manifestant que la personne accueillie a quelque chose à donner. Il est ainsi essentiel de sortir d’une posture qui classifie entre « nous » et « eux ». Pour cela, nous avons à nous engager intentionnellement et c’est un vrai travail dans lequel nous impliquons toute notre personne. Il ne nous faudrait pas croire que nous vivrons l’interculturalité à force de vivre en internationalité. Quand nous partageons ce qui fait le propre de notre culture (fête, habitudes, coutumes, …) il ne s’agit pas de folklore et d’un accueil superficiel de l’exotisme de l’autre ; vivre et laisser vivre dans une forme de tolérance où je reste en dehors. Il est question de notre accueil radical, d’une hospitalité intérieure qui fait que nous nous disposons à être transformé par tout ce qui viendra nous enrichir par l’autre et sa culture. Cela implique de retenir son propre jugement devant une situation qui peut nous interroger, voire nous choquer et laisser place à une forme d’ambivalence, de flou certes inconfortable mais qui permet alors d’ouvrir une brèche et nous mettre en mouvement.


Jésus lui-même n’a-t-il pas dû dépasser ses propres repères ? Si nous regardons l’épisode de la femme syro phénicienne sous l’aspect de l’interculturalité, nous pouvons percevoir Jésus réagissant naturellement à partir de ses propres convictions, valeurs, repères. Il commence par rejeter la femme. Celle-ci insiste et en quelque sorte force Jésus à l’ouverture, à la conversion ; elle lui fait voir le projet radicalement inclusif du Royaume.


… Sortir de … Passer par … Entrer dans … un chemin d’exode pour une terre promise à cultiver, à soigner. La figure de la Visitation nous renseigne aussi : Marie est « en sortie » de chez elle, a parcouru un chemin significatif pour finalement entrer dans la maison de Zacharie et accueillir une situation nouvelle. Sortir de la façon de voir les choses qui nous a façonnées, structurées. Passer par un chemin d’ouverture, de conversion pour accueillir, comprendre, goûter la richesse de nos différences. Ainsi, vivre en interculturalité, c’est entrer dans une nouvelle culture à inventer ensemble. C’est une invitation à nous laisser transformer, à être en marche comme des pèlerins c’est prendre soin de la maison commune qui commence par le souci de l’autre comme personne humaine.

« Le seul véritable voyage, le seul bain de jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est. » Marcel Proust

Dominique Fuchs, PSA

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